« Nous sommes nombreux à éprouver le sentiment que nous sommes loin du compte, que nous ne sommes pas pleinement ce que nous sommes appelés à être, que nous ne donnons pas tout ce que nous avons à donner, ni ne recevons ce que nous pouvons recevoir » Reza Moghaddassi (La Soif de l’essentiel, 2016.)
Plus jeune, c’était des adolescents qui venaient me voir, de mon âge ou plus jeunes, petites sœurs et petits frères d’amis. Et puis assez vite, des adultes, amis de mes parents ou collègues, se sont confiés à moi.
J’ai alors constaté qu’il y avait très peu de lieux efficaces pour répondre à la question de l’orientation.
Les adolescents m’ont décrit des C.I.O (centres d’information et d’orientation) ringards où personne ne les comprenait.
Les étudiants m’ont parlé de la seringue dans laquelle ils se sentaient enfermés, embarqués sur une voie toute tracée pour eux.
Et les professionnels m’ont avoué leur solitude. A qui parler de ça ? A la famille qui compte sur nous ? Aux amis qui se rassurent dans leurs propres choix en nous conseillant de ne rien changer ? Aux collègues qui crieraient à la déloyauté ?
Pourtant ce n’est pas un petit sujet ! La question est vitale et les personnes en détresse qui se la posent, des milliers de milliers.
« Au-delà du désir de rester en vie, au-delà de la recherche des plaisirs, l’homme est animé par une force tout aussi puissante qui le pousse à s’accomplir, à donner du sens à son existence et à rencontrer plus pleinement la vie. Car vivre ne lui suffit pas, il veut avoir le sentiment de bien vivre » Reza Moghaddassi
Une question vitale
Depuis une dizaine d’années, les langues se délient autour d’un phénomène probablement aussi vieux que le travail salarié : la souffrance au travail.
Plans de prévention des risques psycho-sociaux, reconnaissance de nouvelles pathologies professionnelles : le burn-out (surchauffe en français, pour parler d’un état d’épuisement général, à la fois psychique, émotionnel et mental), le bore-out (ennui en français, pour décrire un ennui professionnel ou un désintérêt à la tâche, aussi dommageable que le burn-out), et plus récemment, le brown-out (baisse de courant en français, pour désigner un sentiment d’absurdité, d’inutilité, ou pire de nuisance au travail), semblent révéler une profonde crise existentielle des travailleurs, salariés en particulier.
Cette crise est mondiale, massive et coûte très cher, en termes humains comme en termes financiers. Selon une étude Gallup de 2009, plus de 50% des salariés ne s’impliquent pas dans leur travail et 20% ne cherchent pas du tout à s’y impliquer. Cette perte de productivité est estimée à environ 220 milliards d’euros par an !
Résultat d’une évolution complexe de la société post-industrielle ou post-moderne, cette souffrance parle d’une dissonance entre les nécessités de l’organisation du travail et le modèle organisateur et sa gouvernance. Ainsi, ayant le sentiment que leur travail est de plus en plus en inadéquation avec leurs valeurs, des millions de salariés développent à leur tour un sentiment d’aliénation, et rêvent de partir…
Partir ? Mais pour quoi faire ? A l’ère des bullshit jobs (qu’on peut élégamment traduire par boulots à la con), l’épanouissement professionnel est-il devenu un mythe ?
Le poids de la liberté et l’illusion du « tout est possible »
Après la prise de conscience du « ça ne peut plus durer » vient le vertige du « tout est possible ». Car la contrepartie de la liberté immense dont nous jouissons c’est le poids du choix qui a du sens. Fais ce que tu veux peut devenir une injonction terriblement angoissante. Car qui sait où est son idéal, où va son désir ?
« Si aujourd’hui l’individu a l’impression de passer à côté de sa vie, c’est parce qu’il se dit qu’il aurait dû être meilleur, qu’il aurait dû faire ou avoir autre chose, en oubliant l’essentiel, qui est sa qualité d’être où qu’il soit. Ce sentiment de ratage est ancré dans une théorie de la liberté totalement vide qui abîme notre époque, car elle est comprise presque exclusivement comme le fait d’avoir le maximum de choix (je fais ce que je veux quand je veux, avec qui je veux, où je veux…). Or, vivre, c’est bon gré mal gré, décider, prendre un chemin (…), renoncer à l’infini des possibles pour en explorer un seul. Mais comme l’individu voudrait avoir plusieurs vies ou demeurer dans la toute-puissance du choix, il finit par se sentir étouffé, car ses choix l’ont conduit à renoncer à d’autres voies. » Reza Moghaddassi
Autre piège courant sur le chemin de la réorientation, le fantasme du « job de rêve » pollue souvent la réflexion de salariés en quête de sens. Je ne dis pas que le rêve n’a pas sa place dans cette quête ; au contraire, je crois que s’autoriser à rêver à nouveau est salvateur. Cependant, méfions-nous de la confusion entre le métier qui fait rêver et le métier qui permet de vraiment s’épanouir. Le premier est une projection hors de soi. Le second exige au contraire une excellente connaissance de soi, de ses talents et de ses « bêtes noires ».
Je me rappelle ainsi d’un client cadre dans l’industrie ferroviaire qui rêvait d’ouvrir un restaurant avec un copain…avant de réaliser qu’une de ses bêtes noires, i.e. ce qui le rebute, ce sur quoi il ne serait pas prêt à faire de concession, était la sédentarité. Comment avait-il pu se projeter dans une activité attachée à un lieu tel qu’un restaurant alors que sa liberté, sa mobilité et la diversité de contexte de travail étaient tellement nécessaires à son bien être ? Jusque-là il ne s’était juste pas posé la question de la compatibilité de son projet avec sa nature profonde.
Une autre cliente, consultante en cyber-sécurité, rêvait de tout plaquer pour devenir fleuriste. Mais un travail en profondeur sur ses motivations avait mis en avant son besoin de stimulation intellectuelle, son attachement à la rémunération et un certain type de contexte de travail, …que des leviers absents de son rêve de fleuriste. Elle a finalement renoncé à sa carrière de fleuriste, sans regret, m’affirmant « j’ai compris que le job de mes rêves c’est celui où je peux m’épanouir, pas forcément celui qui me fait rêver ».
Alors comment trouver la juste mesure ?
Je crois que le coaching peut révolutionner la façon de (ré)inventer sa carrière car, mieux que n’importe quelle discipline, il place délicatement le curseur entre introspection métaphysique et passage à l’acte. Et pour répondre à la question de l’orientation professionnelle, il faut bien des deux !
Je suis en effet convaincue que :
- Le travail sur les compétences est vidé de son sens s’il n’est pas associé à une réflexion sur les valeurs : celles qui nous animent, et celle qu’on se donne en tant qu’individu.
- Les questions « pour quoi êtes-vous fait ? » ou « que voulez-vous faire ? » restent sans réponse la plupart du temps car la réponse est inconnue du Conscient.
- La réflexion sur les préférences professionnelles devrait être re-connectée à l’individu dans son ensemble : ce que nous faisons de notre temps libre, ce que nous aimions faire spontanément dans notre enfance, le rôle naturel que nous jouons dans nos groupes d’amis, etc.
- Le passage du Pourquoi au Comment puis au Quoi requiert l’accompagnement d’un tiers car nous avons trop tendance à cheminer dans le sens contraire.
- Le passage à l’acte nécessite d’identifier clairement les comportements à modifier
- Le passage à l’acte nécessite de s’engager sur un premier objectif réaliste
Et dans la quête de soi, la posture de coach offre une infinité d’outils facilement conciliables avec d’autres méthodes inspirées du business model canvas, de systèmes de prise de décision complexe ou de life design. Une source d’inspiration illimitée pour mes coachés et moi ????